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« L’écriture, c’est du dessin », enseignait-on jadis aux enfants des écoles confrontés à leur première plume Sergent-Major. Eh bien, le Musée du Louvre démontre que l’inverse peut être vrai également. La restauration remarquable et patiente – elle a débuté en 2021 ! – du panneau de chêne dit de La Vierge du chancelier Rolin, peint par Jan Van Eyck vers 1430, mais aussi les études historiques et scientifiques qui ont accompagné ce travail, permettent aux conservateurs de formuler de nouvelles hypothèses assez stimulantes.
Le retour du panneau des ateliers de restauration s’assortit d’une petite mais très riche exposition (soixante-trois pièces) qui contextualise l’œuvre dans son époque. Sophie Caron, sa commissaire, résume la découverte ainsi : il s’agit d’un livre plus que d’un tableau. Lorsqu’on le voit accroché en hauteur au mur, comme il l’était autrefois, sa conception et ses points de vue multiples déroutent. Une fois l’œuvre posée à plat dans les ateliers de restauration, Sophie Caron a constaté que la meilleure façon de la regarder, ce n’était pas de lever la tête, mais au contraire de se pencher dessus. D’où la disposition assez basse dans l’exposition, où le panneau n’est pas fixé à la cimaise, mais présenté sur un socle, ce qui permet de le contourner.
Pourquoi ce choix ? Parce que l’envers du panneau est peint aussi, avec une image abstraite étonnante révélée par la restauration, qui évoque les marbrures d’une pierre qu’on serait bien incapable – des géologues s’y sont essayés – d’identifier. La conclusion est évidente, ce tableau n’était pas fait pour être vu, mais pour être lu. Cette posture courbée du visiteur lui permet d’apprécier pleinement les détails, qui fourmillent, particulièrement dans le paysage de l’arrière-plan.
D’où cette autre hypothèse, plus hasardeuse, mais très séduisante : la clé de lecture serait donnée par ces deux petits personnages peints au second plan, vus de dos. L’un est vêtu de bleu et se tient droit, un bâton en main, signe de maîtrise. L’autre est penché sur le créneau d’une muraille et regarde vers le bas. Le premier, c’est Van Eyck, et le second, c’est vous, qui regardez enfin l’œuvre comme le peintre voulait qu’elle le soit.
Une cité idéale
Car au fond, à quoi ce tableau était-il destiné ? D’abord, à sauver l’âme de son commanditaire, qui, semble-t-il, avait bien des choses à se faire pardonner (c’est aussi à cette fin, et sur l’instigation de sa pieuse épouse, qu’il fit construire les hospices de Beaune [Côte-d’Or]). Chancelier du duc de Bourgogne Philippe le Bon, Rolin, priant humblement penché sur cette image, pouvait voir dans le paysage du côté gauche d’un fleuve sinueux les effets d’un bon gouvernement, une cité prospère, des coteaux plantés de vigne et, sur l’autre rive, passé un pont qui y mène – tous les personnages l’empruntant semblent aller dans ce sens –, une cité idéale qui pourrait être la Jérusalem céleste.
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