![](https://i2.wp.com/img.lemde.fr/2024/05/15/0/132/2400/1600/1440/960/60/0/784c84f_1715781825387-173680.jpg?w=1200&resize=1200,0&ssl=1)
SÉLECTION OFFICIELLE – EN COMPÉTITION
A deux jours de la cérémonie de clôture, All We Imagine as Light remporte d’office une palme de cœur, celle du plus beau titre de la sélection cannoise : « tout ce que l’on imagine comme étant de la lumière », voilà, condensée en quelques mots, une définition parfaitement opérante du cinéma comme rêve éblouissant. De fait, Payal Kapadia, nouvelle voix du cinéma indien, n’aura pas mis longtemps à se hisser jusqu’en compétition, dont elle est, cette année, à 38 ans, l’une des plus jeunes recrues.
Son précédent film, Toute une nuit sans savoir, essai filmique en noir et blanc où un soulèvement étudiant était décrit par le philtre sonore de lettres d’amour, avait produit une vive impression dans les rangs de la Quinzaine des réalisateurs, en 2021, et reçu l’Œil d’or, qui récompense chaque année un documentaire. Son second long-métrage passe du côté de la fiction, mais une fiction tout imbibée du réel foisonnant de Bombay, métropole dont la réalisatrice est native, comme son documentaire était auparavant imprégné de rêves.
Le film s’ouvre sur des vues de la ville, un travelling sur une rue bordée d’étals, un petit matin de marché avec, au son, des éclats de voix intérieures, celles des consciences qui se télescopent dans la grande centrifugeuse de la capitale et disent leur déracinement. Bientôt, des silhouettes se précisent, qui deviennent des personnages. Des femmes qui exercent en tant qu’infirmières à l’hôpital, et portent le sari caractéristique de leur profession, un camaïeu de bleu, tel le halo céruléen qui s’étend sur la cité en période de mousson.
Eclats de beauté instantanés
Prabha (Kani Kusruti), infirmière cheffe, partage un appartement avec sa collègue et cadette Anu (Divya Prabha), toutes deux originaires du Kerala, dans le sud-ouest de l’Inde. La première écume sa solitude, mariée trop jeune à un parfait inconnu parti travailler en Allemagne au lendemain des noces. Sa colocataire, elle, file une idylle tenue au secret avec un jeune homme musulman, disparité confessionnelle oblige, réduite à de furtives entrevues, en l’absence d’un abri pour faire l’amour. Surmontant le spleen et la frustration, l’une et l’autre vont prêter main-forte à une amie, leur aînée, Parvaty (Chhaya Kadam), veuve et dernière locataire d’un immeuble en voie de démolition.
All We Imagine as Light circule entre ces trois femmes d’âge et de condition différents, trois femmes en miroir, prises dans le mouvement de la grande ville, entre journées au travail, retours à domicile, escapades en transport et conciliabules. Ce qui se met à résonner de l’une à l’autre, c’est un rapport contrarié aux hommes, qui ont tous la particularité d’être aux abonnés absents, ailleurs plutôt qu’auprès d’elles – enfuis, morts, ou tout bonnement inaccessibles. L’amour entravé révèle pour chacune d’inextricables déterminismes sociaux : poids des traditions, mariages arrangés, fardeau familial pesant sur les femmes, clivages infranchissables de la société de classe, etc.
Il vous reste 35.87% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.