On va beaucoup entendre parler de la prison corse de Borgo et de son atmosphère singulière de corruption, à l’occasion du procès du double assassinat de l’aéroport Bastia-Poretta, ouvert depuis lundi 6 mai devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, à Aix-en-Provence, pour une durée de neuf semaines. Elle a déjà donné son nom au film de Stéphane Demoustier, actuellement à l’affiche, qui est directement inspiré de cette affaire dans laquelle une surveillante, Cathy Sénéchal, fascinée par les détenus et le milieu criminel insulaire, s’est laissé entraîner dans une vendetta, jusqu’à accepter de donner « le baiser de la mort » à l’une des deux cibles du tueur de l’aéroport.
On connaît moins l’histoire de la prison de Pont-l’Evêque, qui a donné lieu, en 1955, à un insolite et drôlissime procès, retrouvé dans les archives du journal et signé du chroniqueur judiciaire Jean-Marc Théolleyre. Soit huit accusés jugés par la cour d’assises du Calvados, à Caen, pour avoir falsifié ou fabriqué des pièces par lesquelles ils se libéraient eux-mêmes avant le terme de leur détention. Tous étaient des délinquants d’habitude, dont les casiers judiciaires portaient déjà de multiples condamnations pour vols, escroqueries, chèques sans provision, abus de confiance et autres délits, et que les hasards de la vie pénitentiaire avaient réunis à la prison de Pont-l’Evêque.
Le surveillant-chef de l’établissement, Fernand Billa, très occupé à boire, s’était déchargé sur certains de ces détenus des fastidieuses tâches administratives qui lui incombaient, à savoir remplir les « registres d’écrou ». Il avait notamment appris à l’un d’eux, Grainville, qui occupait déjà les fonctions de comptable de la prison, à imiter sa signature. « On m’a seulement fait faire auparavant une petite séance d’initiation pour que je sois capable d’imiter la signature de M. Billa. M. Billa, qui était présent, a déclaré : “Bon, ça ira comme ça” », avait-il raconté à l’audience, ajoutant : « De ce jour, j’ai tenu tous les registres, même ceux des surveillants. »
« J’ai pris la direction de la maison »
Le même Grainville couvrait aussi les absences régulières du surveillant-chef et répondait à sa place quand l’administration pénitentiaire téléphonait. « Allô, oui, ici Pont-l’Evêque. A l’appareil, surveillant-chef Billa. » « J’ai pris la direction de la maison », résumait modestement le détenu.
De cette responsabilité nouvelle, Grainville entendait bien sûr faire profiter ses camarades de détention. Il octroyait des permissions et libérait en avance ses camarades de détention. Ainsi d’un certain Pauvert, qui avait trouvé un emploi de plongeur dans un hôtel de Deauville. « Il devait sortir le 17 août. Mais le 17 août à Deauville, c’est bien tard pour la saison. J’ai donc avancé la sortie d’un mois », expliquait-il.
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