Tout filait vite, ce 23 mai, dans la salle de répétition de la Comédie-Française : « J’aimerais qu’on joue depuis le prologue et jusqu’au plus loin dans le texte », suggérait Tiago Rodrigues aux acteurs, qui aussitôt enchaînaient les scènes sur un tempo soutenu. Une semaine plus tard et un étage plus haut, salle Richelieu, la même équipe prenait cette fois le temps de dénouer les répliques une par une. Or des répliques, il y en a beaucoup dans Hécube, pas Hécube, première pièce qu’écrit (et met en scène) le directeur du Festival d’Avignon pour la troupe de la Comédie-Française.
En un prologue, quatorze scènes et un épilogue, Hécube, pas Hécube va et vient du poème d’Euripide au drame humain né de la plume de l’auteur portugais. Un chassé-croisé d’écritures antique et contemporaine auquel l’artiste ajoute cette touche personnelle qui est devenue sa marque de fabrique : le théâtre dans le théâtre. « C’est l’histoire d’une comédienne qui joue une tragédie alors qu’elle en vit une dans sa vie. » Tiago Rodrigues connecte le sort d’Hécube, reine de Troie qui réclame justice pour le meurtre de son fils, à celui de Nadia, une comédienne qui porte plainte pour maltraitance de son enfant autiste. Le glissement d’une héroïne à l’autre est le nerf d’un spectacle qui pourrait bien entraîner le public vers une profusion d’à-pics émotionnels.
« Hécube nous permet de saisir la force de l’amour inconditionnel d’une mère pour son fils, explique le dramaturge. Ce qui m’intéresse, c’est de chercher comment une actrice qui sait cette tragédie par cœur peut mieux faire face aux coups du sort, comment le théâtre peut aider dans la vie. » Elsa Lepoivre est l’une et l’autre de ces mères en colère, dont la dignité ne concède rien au pathos. Autant dire qu’il lui faut se dissocier en permanence sans jamais s’égarer, quitte à frôler une forme de schizophrénie. Cette partie de ping-pong exige une concentration de chaque seconde : « Lorsque j’aurai construit mon parcours de A à Z en balisant chacune de ses étapes, alors je pourrai plonger dans l’émotion, la laisser déferler et puis la contenir la seconde suivante avant, de nouveau, de la pousser au plus fort », raconte la comédienne.
Shoot de stress
Fin mai, à Paris, elle doit encore mémoriser un texte rendu peu de jours avant par l’auteur. Une livraison tardive, à laquelle les comédiens du Français ne sont pas habitués. « Moi qui arrive toujours au premier jour des répétitions texte su, je consacre mes week-ends à apprendre ma partition », explique Elsa Lepoivre. Pas question, donc, de relâcher l’attention. Ce léger shoot de stress ajoute du piment au travail. Denis Podalydès a beau avoir tout (ou presque) connu du théâtre, lui aussi apprivoise « l’inconfort » que génère, dit-il, une pièce « parfois mouvante ». Cette instabilité le stimule, même si le défi l’effraie : « Je dois à un moment faire mine de lire sur mes paumes ouvertes le rapport très technique de plaintes déposées au tribunal, ce passage me terrorise. » Le sociétaire chemine sur une trajectoire parallèle à celle empruntée par Elsa Lepoivre. Il porte sur ses épaules les rôles d’Agamemnon et d’un procureur. Soit les deux hommes de loi auxquels se confrontent les mères.
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