MC Solaar, Barbara Hendricks, Benoît Poelvoorde, Pierre Lescure, Charline Vanhoenacker, Roberto Saviano : les parrains et marraines des premières éditions du Festival international de journalisme étaient souvent issus de la sphère culturelle. Ce sera encore le cas cette année avec Camélia Jordana, qui s’affirme aujourd’hui comme une artiste engagée. La chanteuse et actrice de 31 ans évoque ici son rapport à l’actualité, elle qui, comme beaucoup de jeunes de sa génération, passe par les réseaux sociaux pour s’informer et accéder aux médias.
Dans votre famille, l’information était-elle quelque chose d’important et comment vous informiez-vous ?
On ne parlait pas beaucoup d’actualité chez moi. Il n’y avait pas de journaux à la maison. Ça avait tendance à angoisser ma mère quand il arrivait à mon père de regarder les informations à la télévision. C’était trop violent pour elle.
De ce fait, vous avez grandi sans avoir trop de conscience de ce qu’il se passait en France ou dans le monde ?
Je me souviens des informations très importantes, de l’effondrement des Twin Towers, à New York en 2001, de l’arrivée du Front national au second tour de la présidentielle de 2002 ou des événements populaires comme la Coupe du monde [de football] en 1998.
Quel événement vous a particulièrement marquée enfant ?
La Coupe du monde 1998, bien sûr. J’avais 6 ans et l’on regardait tous les matchs, il y avait quelque chose de très festif, de très joyeux. On se retrouvait avec les voisins, on dansait, on chantait. Et puis, il y avait la figure de Zidane, que j’associais à mon père, kabyle et footballeur.
Je me souviens également très bien du 11-Septembre. J’allais avoir 9 ans. Je suis rentrée de l’école et, pour la première fois, j’ai vu ma mère devant les infos, télécommande en main. Elle regardait les mêmes images en boucle sur une chaîne d’information en continu. Elle m’a expliqué ce qu’il se passait, j’ai compris qu’il y avait plein de morts, de la peur, mais je ne saisissais pas encore la portée politique de ces attaques.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’actualité ?
Au lycée, j’ai eu un professeur d’histoire-géographie génial, Samy Kalouchi. Il nous donnait également des cours d’éducation civique : j’ai pris conscience qu’il fallait que je comprenne ça, les règles qui régissent notre pays, la Constitution, la structure des institutions, les lois. Il enseignait avec beaucoup d’humour.
C’est à 16 ans que j’ai commencé à vraiment m’intéresser à l’actualité, quand je suis montée à Paris [elle a grandi dans le Var] et que je suis partie en tournée, juste après Nouvelle Star [ce télé-crochet la révèle en 2009], avec toute une bande de musiciens très politisés. Nos conversations dans le bus tournaient autour de l’actualité : Sarkozy au pouvoir, puis, plus tard, la guerre en Syrie, la crise des réfugiés…
Ils avaient entre 27 et 40 ans et étaient concernés par le monde dans lequel ils évoluaient. Ils achetaient les journaux, Libération et Le Monde, et les conversations commençaient au café et se poursuivaient dans le bus. J’adorais le fait qu’ils soient du même bord politique tout en débattant régulièrement sur des sujets importants. J’étais encore en construction, j’écoutais leurs échanges, puis j’ai pris ma place au fur et à mesure dans les discussions. Ils ont éduqué mon regard sur l’information.
Je voyais surtout comment un sujet évoqué autour d’un verre dans un bar se développait dans le bus, puis à l’heure du déjeuner, puis autour d’un whisky le soir, jusqu’à donner une chanson qui serait enfin jouée sur scène. J’aimais les voir transformer une injustice qui les touchait, quelque chose de laid, en une création artistique, une forme gracieuse. Ce trajet-là m’intéressait énormément. Ça m’inspirait beaucoup. J’ai appris à écrire des chansons de cette manière.
Comment avez-vous commencé à vous informer par vos propres moyens ?
J’ai commencé, en 2012, à regarder les différents programmes des candidats à l’élection présidentielle. J’étais incollable sur les propositions des uns et des autres. Je suis allée pour la première fois dans des meetings de gauche et j’ai fait mes premières manifs. J’ai trouvé ça extrêmement émouvant de me retrouver au milieu de milliers de gens qui ressentaient la même chose que moi.
Je me suis également mise à lire des essais. Aujourd’hui, j’écoute beaucoup de podcasts qui traitent de divers sujets, notamment de sociologie et de féminisme. J’aime aussi les documentaires, même si je manque de temps pour en voir. Ma première source d’information reste les réseaux sociaux, Instagram surtout, où je suis des médias mainstream et d’autres plus indépendants. Ça me permet de savoir ce qu’il se passe à n’importe quelle heure de la journée.
De plus en plus de gens développent une défiance vis-à-vis des médias. Est-ce votre cas ?
La composition du paysage médiatique aujourd’hui est telle qu’il y a des journalistes qui travaillent pour des médias appartenant à de grands groupes, dont les intentions ne sont pas neutres, mais il existe aussi des médias indépendants. La course au buzz oblige à développer une pensée critique face aux informations que l’on reçoit, davantage que de la défiance à l’égard des médias.
Vous avez été au cœur de nombreuses polémiques à la suite de vos propos, notamment sur les violences policières… En avez-vous tiré une leçon ?
Je crois que, quand on est artiste, avoir une parole politique n’est pas forcément apprécié par le public et même les médias. Ça m’a appris que si je dois parler d’un sujet autre qu’artistique, je dois mesurer, peser chaque mot que je prononce, afin que mes propos soient clairs et que l’on ne puisse pas y mettre autre chose que ce que j’ai voulu dire.
Après une période de silence, vous vous êtes fortement engagée en faveur des Palestiniens, qui subissent les attaques de l’armée israélienne, après les massacres du 7 octobre 2023 perpétrés par le Hamas…
Je pense que la sidération a pris le dessus pendant un temps. C’est après les atrocités du 7 octobre que j’ai enfin choisi de m’intéresser à la question de ce qui avait toujours été appelé le « conflit israélo-palestinien ». J’ai découvert qu’il ne s’agissait aucunement d’une guerre de religion, comme en ont toujours parlé les médias. Il s’agit d’un système d’apartheid, d’un gouvernement oppresseur, d’un côté, et d’un peuple colonisé, de l’autre.
Mon engagement est simple et s’aligne avec le discours du collectif La culture pour un cessez-le-feu : nous demandons la libération des otages et un cessez-le-feu immédiat et permanent. Je n’arrive pas à croire que cette situation soit toujours en cours. Cela fait maintenant huit mois que des gens se font massacrer, sous nos yeux. Avant même de se poser une quelconque question politique, bien que cet aspect soit majeur, il s’agit de notre simple humanité propre : arrêter de tuer des gens.
Festival international de journalisme | Le rendez-vous des passionnés de l’info, du 12 au 14 juillet, à Couthures-sur-Garonne
Dans l’ambiance conviviale du village de Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), de nombreux professionnels de l’information et acteurs de l’actualité seront présents, du 12 au 14 juillet 2024, pour échanger avec les festivaliers autour des grands sujets qui ont marqué l’année et du rôle des médias dans leur traitement.
Le festival proposera, cette année encore, plus de deux cents rendez-vous : conférences, rencontres, ateliers, expositions, projections, performances artistiques, mais aussi un festival junior…
Les billets peuvent être achetés en ligne sur le site Internet du festival ou en arrivant sur place, à l’entrée du village.
Le Festival international de journalisme, un événement coorganisé par « Le Monde », « Le Nouvel Obs », « Télérama », « Courrier international », « La Vie », « Le Huffpost », les 12, 13 et 14 juillet 2024, à Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne).
![](https://img.lemde.fr/2024/05/20/0/0/1200/630/664/0/75/0/bb8730c_1716214353074-fij-festival-journalisme-couthures-2024.jpg)
Retrouvez tous les articles sur le Festival international de journalisme ici.