L’identification de nos « premiers » souvenirs se heurte à plusieurs écueils. Un premier facteur peut biaiser les résultats : c’est la méthodologie des enquêtes menées en neuropsychologie. Fait notable, « le degré de précocité des souvenirs dépend (…) du nombre de souvenirs précoces demandés, du type d’entretien… », relève ainsi Carole Peterson, psychologue et chercheuse à l’Université mémoriale de Terre-Neuve (Canada).
Dans l’ensemble, « les personnes peuvent avoir bien plus de souvenirs de leurs années préscolaires qu’on ne le pense généralement », relève-t-elle. Par exemple, des adultes américains et britanniques ont été invités à retrouver autant de souvenirs que possible de leur vie préscolaire en un temps limité. Résultat, ceux-ci faisaient alors remonter leurs premiers souvenirs à l’âge de 2 ans et demi, « soit un an de moins que l’âge communément admis de 3 ans et demi ».
Autre difficulté, les enfants apprennent assez tardivement à établir la chronologie temporelle des événements de leur vie. Les petits d’âge préscolaire, mais aussi les adolescents, datent ainsi systématiquement leurs premiers souvenirs à des âges plus élevés que les estimations fournies par leurs parents. Les adultes, eux aussi, tendent à postdater leurs premiers souvenirs d’enfance.
Gare aux faux souvenirs, par ailleurs. Les travaux de la psychologue américaine Elizabeth Loftus attestent de la malléabilité de notre mémoire autobiographique. Une de ses expériences, dans les années 1990, est ainsi devenue célèbre. Par une technique de suggestion, son équipe est parvenue à faire croire à 25 % des adolescents participant à l’étude qu’ils s’étaient perdus dans un centre commercial quand ils étaient enfants – un événement purement fictif.
La force du goût et de l’odorat
Sur le plan judiciaire, les conséquences de faux souvenirs implantés peuvent être dramatiques. Il est arrivé, aux Etats-Unis notamment, que de prétendues victimes soient amenées à croire, en toute bonne foi, avoir subi un viol… entraînant alors des procès de personnes innocentes. Ces faux « souvenirs » d’abus sexuels, en particulier, ont pu être créés par certaines techniques psychothérapeutiques, conduisant à de virulentes controverses entre experts depuis les années 1990… Un débat qui n’est apparemment toujours pas clos.
« Les traces mnésiques acquises aux premiers âges de la vie évoluent au fil du temps, souligne Francis Eustache, neuropsychologue à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm, université Caen-Normandie). Une fois récupérées à l’âge adulte, elles seront habillées de nouveaux éléments. » C’est là un autre biais. Chacun tente, en effet, de bâtir une mémoire autobiographique cohérente, entre ses « souvenirs » propres et ce qu’on lui a raconté de son enfance.
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