Quelques fractions de seconde et un lourd bilan : deux morts, une troisième personne blessée par une munition de guerre tirée par le fusil d’assaut HK G36, dont le jeune policier était le seul porteur dans son groupe. Sur les plateaux de télévision et les réseaux sociaux, l’affaire du Pont-Neuf, à Paris, le 24 avril, a suscité l’habituel lot de commentaires d’experts autoproclamés : pour riposter à la menace d’un véhicule lancé à pleine vitesse sans mettre en danger la vie humaine, il suffirait d’en « viser les pneus » ou « le moteur ». L’opinion présente le mérite d’être accessible au profane. Elle n’en témoigne pas moins d’une profonde méconnaissance des données techniques, balistiques et opérationnelles liées à ce type d’intervention.
« Ce n’est pas une question d’adresse au tir mais de pure physique : il est tout simplement impossible de stopper un véhicule en mouvement avec les armes en dotation au sein des forces de l’ordre », tranche François Griscelli, ancien opérateur du RAID et ex-moniteur de tir dans la police. Atteindre un pneu ? « Extrêmement difficile en raison de la faible surface offerte par la cible, en grande partie dissimulée par la carrosserie, et ça n’empêche pas la voiture d’avancer. » Viser le bloc-moteur ? « Les munitions peuvent l’endommager, mais le véhicule continuera à rouler plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de mètres. »
Un stand de tir inadapté
Stress, temps de réaction de l’ordre du quart de seconde, « effet tunnel » obscurcissant la vision périphérique, décharges chimiques d’adrénaline et de cortisol influant sur les réflexes et l’appréhension de la situation : les conditions de tir, sur les plans physiologique et psychologique, sont rarement prises en compte. « Or, souligne Gérard Chaput, médecin militaire à la retraite et spécialiste du stress post-traumatique, dans un état de stress dépassé, les actes réflexes comme celui de tirer prennent le relais du comportement, parfois sans aucun lien avec une situation donnée. » Le seul moyen de développer des « processus cognitifs adaptés » relèverait d’un « apprentissage poussé », en particulier en ce qui concerne l’utilisation d’armes à haut potentiel létal comme le HK G36.
Là se trouve le nœud du problème. En 2019, près de 40 % des effectifs actifs n’avaient pas réalisé les trois séances de tir annuelles prescrites par le règlement. Manque de formateurs spécialisés, tensions sur des effectifs accaparés par des missions qui ne leur laissent guère le temps de s’entraîner : en février, un rapport de la Cour des comptes consacré à la formation des policiers observait que, en 2020, seules 93 069 des 172 740 places offertes pour des sessions de formation au tir avaient été pourvues, soit à peine plus de 50 %.
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