Bien que les expériences de la droite radicale et populiste au pouvoir restent encore assez peu nombreuses, les comparaisons internationales nous invitent à souligner les éléments communs d’un pouvoir d’extrême droite.

Premier élément, constaté dans l’ensemble des pays, l’affaiblissement par l’extrême droite de la démocratie et des libertés, en diminuant les droits fondamentaux et le poids des contre-pouvoirs. Partout une tendance assez nette à l’illibéralisme suit le triomphe des droites radicales et vient rogner l’Etat de droit.

En Pologne ou en Hongrie, on a observé un effet négatif sur les libertés publiques et civiles, le contrôle des pouvoirs législatif et judiciaire sur l’action du gouvernement et les droits fondamentaux, notamment ceux des minorités. Le dévoiement et la torsion des institutions par le parti PiS (Droit et justice) en Pologne l’illustrent bien. Celui-ci s’est attaché à renforcer le contrôle politique sur le système judiciaire, remettant en cause son indépendance.

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On peut retrouver ces éléments dans la politique autoritaire du trumpisme et les régimes autocratiques de Viktor Orban en Hongrie et de Jair Bolsonaro au Brésil. En France, à l’issue des élections législatives, l’extrême droite ne disposerait pas de tous les pouvoirs, dans la mesure où le président de la République, mais aussi le Sénat pourraient encore jouer leur rôle de pare-feu.

Propager leur radicalité

Second élément, une diminution du pluralisme et l’ambition de marginaliser les voix dissonantes. En Pologne et en Hongrie, les gouvernements d’extrême droite ont cherché à renforcer drastiquement leur contrôle sur les médias publics, en les reléguant à de simples organes de propagande, tandis que les médias privés ont fait l’objet de pressions avec des tentatives de rachat par des entreprises proches du gouvernement. En France, plusieurs médias aux lignes éditoriales compatibles avec les droites radicales pourraient de fait agir comme facilitateurs. La volonté du Rassemblement national (RN) de privatiser de l’audiovisuel public semble également relever de cette stratégie.

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Troisième élément, qui bat en brèche les lieux communs, l’expérience des droites radicales au pouvoir montre qu’accéder aux responsabilités n’est pas un facteur de modération, mais au contraire qu’elles se servent de ce piédestal pour propager leur radicalité de façon horizontale, auprès des partis avec qui elles gouvernent et des organisations qui gravitent autour. Elles contribuent aussi à radicaliser de façon verticale, par les politiques publiques. (…)

Les experts alertent sur une dimension cruciale du populisme de droite : les entorses qu’il infligerait à la démocratie ne seraient pas aisément réversibles. Cet avertissement vient notamment des trois pays qui ont connu une alternance à la suite de l’accession au pouvoir de dirigeants populistes : au Brésil, aux Etats-Unis et en Pologne, les électeurs ont ensuite pu choisir d’autres options, mais des séquelles demeurent.

Pire encore, c’est comme si la résistance de la démocratie à l’expérience populiste se retournait contre elle-même. Au Brésil, l’élargissement par les institutions démocratiques de leurs propres prérogatives pour contenir les mouvements de contestation pro-Bolsonaro à la suite de sa défaite en 2022 a renforcé la défiance à l’égard des institutions et creusé le fossé entre les deux camps. En Pologne, la spirale de la polarisation a entraîné dans son piège Donald Tusk, qui a sacrifié lui aussi à la caricature voire à la mauvaise foi pour discréditer ses adversaires du PiS, alimentant ainsi en retour la peur et la haine.

Atteintes à la démocratie camouflées

Le populisme, dont la polarisation affective est le produit et le carburant, est contagieux. Nous l’avons constaté durant cette campagne éclair en France, alors que des dirigeants de gauche ont cédé à la tentation de l’amalgame dangereux entre l’extrême droite et le gouvernement, et que le président a agité le spectre de la guerre civile et du chaos. C’est ce glissement dont il faut à tout prix nous garder, en maintenant fermement l’attachement à l’honnêteté intellectuelle, à la nuance et à la complexité.

Lorsqu’il s’agit de cerner l’identité du RN, la comparaison qui revient le plus souvent est celle avec la coalition menée par Giorgia Meloni en Italie. Le RN, c’est moins Mussolini que Meloni, entend-on dans la bouche d’analystes qui disqualifient ainsi la référence trop simpliste au fascisme. Pour autant, le témoignage d’Antonio Scurati n’a rien de rassurant : il décrit une lente dégradation de l’Etat de droit et du pluralisme qui est d’autant plus préoccupante qu’elle est silencieuse, et donc en apparence indolore.

De fait, le tandem Le Pen-Bardella fait tout pour rassurer. On est loin de l’outrance de Trump et Bolsonaro ou de la véhémence d’Orban. De la stratégie de la cravate à l’Assemblée nationale pour leurs députés en quête de notabilité, à la rupture avec leurs anciens alliés allemands de l’AfD après leur relativisation des crimes des SS, et jusqu’à l’ostracisation récente du trop radical Eric Zemmour, la normalisation est au cœur de leur stratégie.

Cela suffit-il à prolonger le parallèle avec l’Italie pour imaginer qu’ils engageraient des atteintes à la démocratie camouflées sous des apparences de respectabilité ? Une telle hypothèse demeure incertaine. Mais l’expérience italienne doit attiser notre vigilance pour que les premiers signes d’illibéralisme soient perçus non pas seulement pour eux-mêmes, mais comme le commencement d’un processus.

Laurence de Nervaux, directrice générale de Destin commun et Tristan Guerra, responsable de la recherche de Destin commun.

Le jour d’après : penser le 8 juillet 2024

Face au risque d’une arrivée au pouvoir du Rassemblement national (RN), Destin commun, filiale française du think tank More in Common, a décidé de publier un rapport sur « Le jour d’après : penser le 8 juillet 2024 », dont nous publions des extraits. « Il nous paraît essentiel de bien comprendre ce que pourrait représenter une victoire du Rassemblement national », écrivent l’ancien secrétaire général de la CFDT Laurent Berger et le cofondateur de More in common Mathieu Lefevre dans l’avant-propos : « Loin du défaitisme ou de la prophétie autoréalisatrice, il nous semble que c’est faire preuve d’une forme de maturité démocratique que de regarder en face la question. » Le rapport s’appuie sur des experts, confrontés à cette expérience dans leur pays, du Brésil à la Pologne en passant par les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Berger et Lefevre alertent : « Lorsqu’une nation saute dans l’abîme, celles et ceux qui ont une voix dans l’espace public portent une lourde responsabilité. »

Le rapport complet est disponible sur le site de Destin commun.

  • « L’expérience des droites radicales au pouvoir montre qu’accéder aux responsabilités n’est pas un facteur de modération », par Laurence de Nervaux et Tristan Guerra du think tank Destin commun
  • « Le processus de désintégration de la démocratie libérale en Italie ressemble à une guerre d’usure », par le romancier italien Antonio Scurati
  • « En quelques années en Hongrie, avec Viktor Orban, le système d’équilibre des pouvoirs a disparu », par Zsuzsanna Szelényi, ancienne députée hongroise
  • « Les institutions brésiliennes doivent combattre les excès antidémocratiques de Bolsonaro, sans combattre le bolsonarisme », par le politiste Pablo Ortellado
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