La question industrielle est partout à l’ordre du jour : aux Etats-Unis, le nouveau « consensus de Washington » en a fait une orientation stratégique depuis 2023, et en Chine, elle est l’horizon affiché pour célébrer le centenaire de la révolution en 2049. Prise en tenailles entre les deux, l’Europe s’interroge en termes vieillots de désindustrialisation et de réindustrialisation. Paradoxalement l’Europe, qui a inventé la vision du monde fondatrice de l’industrialisation, ignore son propre récit originel et s’imagine comme « une société postindustrielle ».
La généalogie du mot « industrie » met en évidence des élargissements continus de sa signification : de l’habileté individuelle à une profession, à l’entreprise et à un secteur d’activité, jusqu’à « la société », voire à la « civilisation industrielle ». Malgré sa polysémie, l’industrie a été réduite après la seconde guerre mondiale à sa dimension technique et économique.
Le statisticien britannique Colin Clark (1905-1989) en a fait un des secteurs de l’économie. Jean Fourastié (1907-1990) a associé cette approche à une sorte de « loi des trois secteurs » selon laquelle l’activité principale d’une économie devrait « progresser » du primaire au secondaire pour aboutir au tertiaire. Une économie et un pays seraient d’autant plus « développés » que le secteur tertiaire le serait… Cela suppose « une loi du progrès ». Comme l’a noté Raymond Aron (1905-1983), « à lire Colin Clark et Fourastié, on a le sentiment d’un cheminement de toutes les sociétés sur une même route et vers un but unique ».
Informatisation généralisée
Mais cette classification perdure dans les esprits et les nomenclatures officielles. Or elle est un obstacle à la compréhension des mutations industrielles et empêche même de définir un périmètre dit « industriel ». En effet, l’industrie contemporaine est marquée par l’informatisation généralisée et accélérée et par son hybridation avec les services. La plupart des entreprises externalisent de nombreuses activités tout en produisant de nouveaux usages ou des expériences, et pas seulement des produits manufacturés.
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