Le premier jour d’Akino comme concierge au Bazar du cercle polaire n’est pas une partie de plaisir : discrétion, amabilité et anticipation des besoins sont au cœur du métier que la salariée un brin naïve, mais pleine de bonne volonté, peine à embrasser. Il est vrai que la clientèle de ce grand magasin est retorse : des animaux de tous poils et plumes, endimanchés, susceptibles et exigeants. La maladresse d’Akino n’aide pas. Quelle idée, par exemple, de demander à cette femelle mustélidé si elle peut la débarrasser de son vison sans voir qu’il s’agit de sa marmaille ! Au moindre faux pas, son manageur, M. Todo, yeux acérés par-dessus une petite moustache noire, ne manque pas de la sermonner.
Dans La Concierge du grand magasin (traduit du japonais par Aurélien Estager, Le Lézard noir, 288 pages, 18 euros. En librairie le 8 septembre), une œuvre qu’il souhaite avant tout « ludique », Tsuchika Nishimura met en scène des animaux anthropomorphes servis par des humains. Le mangaka, né en 1984, se joue là d’un paradoxe qui n’est pas anodin en temps de crise environnementale : « Au départ, ce sont les humains qui font preuve de violence par rapport aux animaux. Je trouvais intéressant qu’ils doivent ici être particulièrement gentils avec eux », explique-t-il au Monde. Relevant « une sorte de masochisme dans les actes humains », il finit par envisager que l’humanité elle-même est en voie de disparition, et veut « montrer que nous n’avons pas forcément une position privilégiée par rapport aux animaux ». Parmi les bêtes qu’il apprécie le plus représenter, les ours. « Ils vivent plus ou moins à proximité de nous, au Japon. Ils sont à la fois très dangereux et très mignons. Cette ironie me plaît. »
Un établissement imaginaire
Par-delà la comédie poétique, où le fait de ne pas pouvoir prédire les réactions animales crée l’élément de surprise, le dessinateur esquisse une parodie sociale dans laquelle il met sur le devant de la scène ceux qui se fondent dans le décor, tels les liftiers ou les hôtesses, ayant lui-même travaillé aux caisses d’un « depato », dérivé populaire japonais des department stores, les « grands magasins » en anglais. Son établissement imaginaire, lui, est minutieusement inspiré d’enseignes existantes – en tête Le Bon Marché parisien et ses Escalator emblématiques.
Pour sa ménagerie, ce n’est pas tant du côté de La Fontaine ou des illustrateurs anglo-saxons qu’il faut aller chercher la patte de Tsuchika Nishimura : l’auteur puise plutôt du côté du film d’animation de Disney Zootopie (2016). L’artiste finlandaise Tove Jansson, mondialement connue pour ses Moomins, irrigue également ses albums, que les Français ont découverts au Lézard noir avec Eisbahn (2019) et Au revoir Mina (2021).
Mangaka alternatif peu prolixe, accaparé par sa carrière d’illustrateur – de couvertures de livres notamment –, Tsuchika Nishimura aime de toute façon prendre son temps et ralentir le rythme effréné du lecteur, lui qui regrette que, « au Japon, on ait tendance à consommer les mangas de plus en plus vite ».
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